Interview du Président d’Irobot, Colin Angle sur le Point.fr

Interview publiée sur Lepoint.fr

Aux États-Unis, il est considéré comme le gourou de la robotique. Non sans raison : malgré ses airs d’adolescent sur le tard, cela fait vingt ans que Colin Angle est à la tête d’une des rares entreprises capables de gagner de l’argent avec des robots. Rencontre avec un homme à la vision claire et au parler franc.

Vous avez développé un robot-aspirateur, puis un robot-serpillière… Le robot à tout faire serait-il le robot ultime ?

Pas exactement. Un robot qui ferait tout serait trop gros, je reste attaché au concept de petit robot mobile dédié à une fonction. En revanche, un robot « tour de contrôle » pourrait représenter un stade de développement supérieur. En gros, plus vous avez de robots, plus il devient nécessaire de disposer d’un robot superviseur pour les faire fonctionner en même temps. Il peut ainsi distribuer les ordres « nettoie ceci », « aspire cela », « déplace ceci ». Nous annoncerons d’ailleurs des produits de ce genre.

Pourquoi délaisser les robots humanoïdes ?

Construire un robot humain avec des jambes et un cerveau, je n’y crois pas. C’est trop compliqué, trop cher et trop fragile. Un robot se pense comme une fonction. Il se dessine dans le seul but d’accomplir une tâche. Si je dessine un robot dont le job consiste à nettoyer le sol, je dois concevoir un appareil capable de se déplacer partout, qui ne peut pas être immobilisé par des obstacles et qui doit pouvoir retourner tout seul à sa station de recharge. Développer correctement ces fonctions et ces algorithmes de programmation requiert déjà un travail énorme.

Le grand public a découvert les téléphones mobiles il y a quinze ans et le Web il y a dix ans… N’est-il pas trop tôt pour parler robots ?

Non, il y a beaucoup de choses faciles à comprendre que peuvent faire les robots, à la maison en particulier. Le succès de l’iPad et des tablettes sous Android devrait aussi accélérer le développement de la robotique. Les robots pourraient devenir la prolongation d’un appareil mobile et être contrôlés à distance.

Google a montré une voiture-robot qui se conduit toute seule. Vous travaillez avec eux ?

Oui, nous avons développé quelques technologies qui ont servi à mener cette expérience. Google a engagé un professeur de Stanford, Sebastian Thrun. Il a dirigé le développement de cette voiture-robot, en s’appuyant sur les travaux déjà entrepris par Google sur la cartographie. Les deux fondateurs de Google s’intéressent de très près à la robotique. Je connais Larry et Sergei personnellement (Larry Page et Sergey Brin, les deux fondateurs de Google, NDLR), ils vont probablement investir du temps et de l’argent de leur poche dans la robotique. Larry cherche tous les moyens de résoudre les problèmes de circulation et d’infrastructure. Il veut développer des voitures autonomes, et pourquoi pas des voitures volantes… Je ne peux pas prédire s’ils vont créer une entité à part ou s’ils vont mener les recherches au sein de Google, mais ils s’y intéressent, c’est certain. Cela pourrait sembler un peu hors sujet pour Google d’investir dans ce secteur, mais comme vous le savez, cette compagnie fait beaucoup de choses. Qui sait si Android ne deviendra pas un jour un système d’exploitation de robot ? Cela dit, je ne suis pas certain que ce modèle de système ouvert puisse convenir pour la robotique, car l’exigence de sécurité est vraiment très importante. Le logiciel qui pilote la machine assure l’intégrité et le bon comportement de l’appareil, il ne doit pas être accessible à des applications tierces. Vous n’aimeriez pas que quelqu’un puisse vous regarder chez vous, il faut donc être prudent sur cette possibilité de contrôler les robots avec le premier appareil venu.

Quel secteur vous semble porteur ?

Les robots-animaux (appelés en France robots de compagnie) sont quelque chose de très particulier. Une relation naît entre l’homme et la machine, c’est beaucoup plus qu’un jouet ou qu’un jeu vidéo. Le jeu vidéo, on regarde, on se projette, mais on ne ressent pas autant d’émotions. Les robots de compagnie seront un succès énorme. La preuve avec Furby, le petit robot-peluche : il s’est vendu à 40 millions d’exemplaires à 45 dollars, c’est tout simplement gigantesque. La moitié des ventes étaient destinées à un public adulte. Cela prouve qu’un marché existe.

Vous travaillez aussi pour l’armée…

J’étais tout juste diplômé du MIT (Massachusetts Institute of Technology, la plus grande université scientifique américaine) lorsque, avec l’un de mes professeurs, nous avons décidé de monter une entreprise autour des robots. Quelques démonstrations scientifiques commençaient à se faire en laboratoire, mais c’était la période des balbutiements en robotique. Nous avions un vrai projet, une commande dans le domaine de l’exploration spatiale. Il fallait changer la manière dont les ingénieurs du gouvernement exploraient les autres planètes. À la place des énormes robots de 200 kilos, nous devions créer des robots de 5 kilos. Pour les concevoir, nous avons travaillé avec de nombreuses personnes, y compris des producteurs de films ! Nous avons ensuite tenté l’aventure des jouets-robots, mais le modèle économique de l’industrie du jeu n’était pas fait pour accueillir ce genre de produit. Dans le même temps, nous avons développé des robots sur commande du Pentagone pour aider les soldats à nettoyer des centaines de grottes. Puis, entre 2000 et 2002, nous avons développé le Roomba, le robot-aspirateur. En septembre 2002, il était prêt à être lancé sur le marché. La première année, nous avons réalisé 14 millions de dollars de chiffres d’affaires, puis 42 millions la suivante… Nous en sommes à 385 millions de dollars annuels en 2010, nous avons généré plus d’un milliard de dollars sur ce marché…

Propos recueillis par CLÉMENT PÉTREAULT

Source : Lepoint.fr

Que pensez-vous de cet article ?